Invité pour le numéro d’août 1983 de La Quinzaine Littéraire à s’exprimer sur le thème « A partir de votre expérience, mais sans vous y cantonner, pourriez-vous nous exposer ce que représente pour vous l’idée que le monde actuel est en crise ?“ (déjà !), François Truffaut, rédigea un article extrêmement lucide et qui, 25 ans après, demeure d’une parfaite actualité. Le metteur en scène y dénonce la corruption du vocabulaire quotidien par les politiques et les pubards, déplorant qu’un mot essentiel tel que « sensibilité » soit totalement dévoyé. En voici les deux derniers paragraphes :
La crise, ce n’est pas seulement l’abondance des biens inutiles et la pénurie de la nourriture, c’est aussi la dégradation des sentiments et, de ce point de vue, même s’ils n’en sont pas uniques responsables, les politiques et les publicitaires contribuent à la crise par leur acharnement à corrompre le vocabulaire quotidien.
Le mot tendresse utilisé dans les slogans publicitaires est devenu odieux, donc inutilisable dans une conversation sincère. C’est la même chose pour le mot sensibilité, utilisé par les politiciens pour justifier leurs coups de Jarnac : « A l’intérieur de notre formation peuvent coexister des sensibilités différentes ». Pouah !
A cause de ces gens malfaisants et nuisibles, préparons-nous à vivre sans « tendresse » ni « sensibilité », endurcissons-nous et repoussons d’un geste ferme leur main tendue.
Pouah Séguéla !